Parade - Biennale
Commissariat
Vanina Pinter
SceÌnographie
Pernelle Poyet
Avec
Atelier 25
Stéréo Buro
Manon Bruet
Sophie Cure
AgnĂšs Dahan Studio
Julie Rousset et Audrey Templier
Anette Lenz
Sarah Martinon
Lisa Sturacci
Sylvia Tournerie
Line Célo
Coline Aguettaz
Aurore Chassé
Margaret Gray
Catherine Guiral
Ămilie Ferrat
Julie Héneault
Sophie Rentien Lando
Claire Huss
Helena Ichbiah (Ich&Kar)
Maroussia Jannelle (Général Design)
Félicité Landrivon
Véfa Lucas
Roxanne Maillet
Morgane Masse
Fanette Mellier
Clémence Michon
Natalia PĂĄez Passaquin
Fanny Myon
Marie Pellaton
Marie Proyart
Valérie Tortolero
Marion Kueny
Variations épicÚnes # Chaumont
Déploiement
La premiĂšre exposition Variations Ă©picĂšnes (septembre 2020) rĂ©pondait Ă une demande de la MABA (Maison d'Art Bernard Anthonioz) : penser une exposition collective de graphistes femmes. Elle sâarticulait autour de deux trames principales : sept projets aux genres graphiques variĂ©s articulĂ©s dans sept salles et rĂ©vĂ©lant le travail de recherches, consĂ©quent et singulier, de sept graphistes. Une deuxiĂšme trame rassemblait dâautres projets rĂ©unis dans un cabinet de documentation, antichambre de lâexposition ou fabrique de lâhistoire.
Au Centre International du Graphisme, forteresse de la discipline, il sâagit de dĂ©ployer sur son plateau, un ensemble de projets graphiques conçus par des graphistes françaises. Un ensemble gĂ©nĂ©reux, assumant sa densitĂ© et tĂ©moignant de la contribution de ces graphistes Ă la culture et Ă la sociĂ©tĂ© française. La liste de graphistes a Ă©tĂ© augmentĂ©e, elle est consĂ©quente et loin dâĂȘtre exhaustive. La liste assume le dĂ©bordement. Elle tend Ă devenir vertigineuse, comme une colonne sans fin, un monument indisciplinĂ©, oĂč lâindex - dans les livres, lâindex renvoyant Ă des noms de femmes est toujours en-deçà du rĂ©el- serait un annuaire mouvant, quâon ne peut contenir.
Martha Scotford, historienne amĂ©ricaine du design graphique, dans un texte de 1994 - on sera toujours en retard-, mentionne que lâhistoire du design graphique pour traiter de la question des femmes peut avoir une approche « messy », bordĂ©lique. Et pour cause, depuis des dĂ©cennies, elles ont peu intĂ©grĂ© les rangs et les lignes de lâhistoire et des expositions.
Parer
Un habillage visuel, un emballage sĂ©duisant, une surface de protection, une identitĂ© variable, un art au service deâŠ, un genre mineur, un substrat dĂ©coratif âŠ. : au quotidien, le design graphique se heurte aux qualificatifs pĂ©joratifs et aux dĂ©finitions imprĂ©cises. Câest peut-ĂȘtre pour cette raison que Cassandre (1901-1968) avait choisi un nom de scĂšne (graphique) Ă©picĂšne, aux accents dramatiques, qui prĂ©sageait les tourments et les difficultĂ©s. Un·e graphiste prend des coups. Iel dĂ©fend vaille que vaille sa composition pour que celle-ci Ă©merge dans une sociĂ©tĂ© du spectacle ultra formatĂ©e, verrouillante, oĂč une mĂ©canique marketing a tout intĂ©rĂȘt Ă ce quâun.e graphiste pense peu, quâiel dĂ©pense moins.
Tous les projets prĂ©sentĂ©s ici (rĂ©els ou provoquĂ©s pour lâexposition) ont un lien ineffable : chacun est un « cheval de Troie », un objet graphique oĂč la graphiste a poussĂ© sa grammaire, son vocabulaire, ses « matĂ©riaux bruts », souvent sur un territoire quelque peu hostile, au mieux indiffĂ©rent. OĂč, elle a enveloppĂ© ses convictions, des ambitions et ses utopies. Rien de spectaculaire, le presque rien de la force inhĂ©rente au partage du sensible. En cela, chacun de ses objets mĂ©rite une attention particuliĂšre. Lâexposition permet un espace de repli, un temps de concentration que lâon propose de passer avec ces objets de design graphique. Lire, comprendre, considĂ©rer sont au cĆur de lâinstallation scĂ©nographique, confiĂ©e Ă Pernelle Poyet.
Contrer
Les expositions collectives, exclusives de femmes sont un non-sens. Une crĂ©ation au fĂ©minin, spĂ©cifique, nâa jamais fait ses preuves. Et encore moins en design graphique, oĂč contextes de commandes, diffusion publique, travail en collectif font Ă©clater toute caractĂ©ristique intrinsĂšque. Ces expositions sont problĂ©matiques pour les artistes femmes depuis la fin du 19 siĂšcle. Elles ponctuent malgrĂ© tout, notre histoire oublieuse. Elles sont, malgrĂ© tout, nĂ©cessaires. Sur leur temps dâexistence, elles reçoivent - Ă juste titre- beaucoup de critiques, mais aprĂšs coups, elles sâavĂšrent ĂȘtre de prĂ©cieux outils -des outils contraints, mais libĂ©rateurs-, des sources de documentation, des ouvertures sur des crĂ©ations ou des questionnements peu, mal ou in-connus. Elles permettent dâĂ©largir lâĂ©ventail des connaissances et de rĂ©duire le gouffre de la disparition qui aspire le travail des autrices. Il faut inventer et entretenir la parade : comment retenir le design graphique de son enfouissement, de sa disparition ? Comment faire en sorte que les objets des graphistes ne restent pas silencieux, quâils nous parlent de la sociĂ©tĂ© quâils activent, de leur processus Ă lâĆuvre?
QuâĂ©prouva lâaffichiste Jane AtchĂ© (1872-1937) quand elle vit, en 1896, le premier tirage de son affiche pour le papier Ă cigarette Job ? Quâenfermait Claudette Duparc (dates ?) quand elle engrillagea lâombre dâune femme sur la couverture du Lys Rouge dâAnatole France pour le Club Français du livre en 1955 ? Que mit en place en 1959, Sylvie Joubert (1923? - 1973?) quand son studio prit lâunique nom « Atelier Joubert » et ne fut plus accolĂ© Ă celui de Cassandre ?
Nous pouvons faire des suppositions, relier des arguments, mais les archives manquent pour que les rĂ©ponses soient assurĂ©es. Face Ă ces graphistes du siĂšcle passĂ©, si proches, lâhistorien·ne se retrouve dĂ©muni·e, dans une position quâexplicite Arlettte Farge face Ă lâarchive des femmes : « la retrouver comme on recueille une espĂšce perdue, une flore inconnue, en tracer le portrait comme on rĂ©pare un oubli, en livrer la trace comme on exhibe une morte ». Pour que lâhistoire de la discipline ne soit pas hantĂ©e par autant de dossiers Jane Doe, dâenquĂȘtes impossibles, la logique des expositions Variations ĂpicĂšnes Ă©voque lâimportance pour ces graphistes et les institutions dâune prise de conscience, de protĂ©ger et de documenter leur travail.
Une parade, en nombre, bigarrée, désordonnée, pour cette 30e édition.
Une action momentanément collective : toutes ces graphistes, ensemble.
L'exposition Parade est soutenue par la Caisse d'Ăpargne Grand Est Europe